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Lulu

Lulu
17 janvier 2015

"La religion, c'est comme le cul, ça reste chez soi !"

Comme l’a toujours dit ma grand-mère, « la religion, c’est comme le cul, ça reste chez soi ! ». Elle a commencé à le dire durant son adolescence, c'était sa manière à elle de crier "mort aux curés". Elle continue à le dire à 88 ans.

J'ai précisément choisi ce titre parce que je ne vais pas parler de religion.

Je vais parler du massacre à Charlie Hebdo, et, jusqu'à ce que les réseaux sociaux soient couverts d'immondices islamophobes ou de bien-pensance sur la laïcité, je n'ai pas pensé une seule seconde à la religion. J'ai pleuré ces bonshommes que j'aimais et qui ont fait partie de ma vie depuis le plus jeune âge, et j'ai pleuré la violence et la misère. C'est tout.

 

Avant d’élever la voix avec de grands concepts comme « laïcité », « liberté d’expression », « délit de blasphème », et même « religion », il faut regarder les faits.

Ils ont tiré avec des armes de guerre sur des papis qui tenaient des crayons, parce qu'ils n'étaient pas d'accord avec eux.

Je n’ai pas beaucoup de science en religion, ni en loi française. Mais je pense que les premières démarches à faire, c’est se renseigner sur l’islam avant de crier alerte aux musulmans, lire un peu d’histoire française pour comprendre comment et pourquoi on est devenu un pays laïque, comment et pourquoi notre liberté de la presse et notre liberté d’expression. Lire aussi l’histoire des pays arabes et/ou musulmans (parce que ça aussi, c’est important. Un arabe n’est pas un musulman, et un musulman n’est pas un islamiste. Un islamiste n’est pas un arabe, et un musulman non plus), les colonisations, l’histoire de la religion, comment les pouvoirs actuels en sont arrivés là.

Je ne sais pas tout ça. J’ai quelques notions, mais je n’ai pas cette connaissance. Et, parce que je n’ai pas ce savoir, je ne vais pas parler d’islam, ni d’extrémisme, ni de liberté de la presse, parce que, pour moi, il s’agit juste de deux malades qui ont tiré sur des papis que j’aimais.

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Maintenant. Ces malades (et non pas ces fous, parce que je suis persuadée qu’ils sont malades, au sens premier du terme). Ont-ils été élevés en Afghanistan, au Pakistan, en Palestine ? Où sont-ils allés à l’école ? Quelles lois ont-ils apprises ? Dans quel système ont-ils grandi ?

Réponses : France / école française laïque et obligatoire / lois républicaines françaises / système démocratique français.

Le fait que deux enfants français, supposés avoir eu la même éducation que moi, ayant grandi dans le même pays que moi, en arrivent à s’armer de kalachnikov et à massacrer douze personnes, ça me fait me poser des questions, pardi. S’ils sont des monstres (mais je ne le pense pas), comment sont-ils devenus des monstres ? Je suis née en France, je suis allée à l’école publique, gratuite, laïque et obligatoire, comme eux, j’ai grandi en France, comme eux. Pourtant, jamais, jamais, jamais, je ne pourrais faire une telle chose.

Avant de devenir un monstre, on a connu la monstruosité. On a été une victime.

 

Je sais pourquoi moi, je ne pourrais jamais, jamais, jamais faire ça (encore moins à la bande d’emmerdeurs qu’étaient Wolinski, Cabu, Tignous, Charb et Honoré, mais, imaginons, à Zemmour, ou Claude Guéant, ou Hortefeux, ou Marine Lepen).

Je ne pourrais jamais faire ça parce que je n’ai pas été éduquée à la violence. J’ai découvert la violence au collège pour la première fois, et j’ai pleuré dans les toilettes, longtemps. Je n'ai jamais été agressée physiquement, étant gamine, par qui que ce soit, même pas une fois.

Je ne pourrais jamais faire ça parce que j’ai été formée à l’esprit critique, par mes parents, et par l’école. L’esprit critique, c'est-à-dire se faire sa propre opinion sur un sujet. Questionner ce qu’on me dit, ce qu’on tient pour acquis. Par exemple, j’ai été élevée dans l’athéisme le plus complet. Vers l’âge de 12 ans, j’ai eu ma petite lubie religieuse. J’ai voulu être baptisée (ma mère m’a dit que je le ferais quand je serai majeure si ça me chantait encore), je priais dieu avant d’aller me coucher, je trouvais cette ferveur extrêmement romantique, ça a duré quelque chose comme un mois. Mais j’ai eu la liberté de croire en dieu, ou pas.

Je ne pourrais jamais faire ça parce que j’ai appris à lire à quatre ans, et que la censure n’existait pas chez moi. Je dévorais tout ce qui me tombait sous la main, la littérature française, les bd érotiques de Wolinski qui sont responsables de mon premier éveil sexuel vers l’âge de 6 ans, accompagnées des Fluide Glacial de mon père, le dictionnaire, les journaux qui traînaient allant du Monde Diplomatique au Nouvel Obs en passant par le Canard Enchaîné (surtout), Spirou, le kama sutra, la bible, des traités sur le shintoïsme, les textes de John Lennon, et j’en passe. Quand on a accès à une telle variété de connaissances pendant son enfance, on est alors nourri de tout, et tout nous nourrit. Il est impossible de s’arrêter à une seule pensée. D’ailleurs, je ne me suis toujours pas arrêtée à une seule pensée, j’en ai pour preuve que je n’ai ni principe ni valeur, à part celui de questionner.

Je ne pourrais jamais faire ça parce que je n’ai jamais connu la misère sociale. J’ai connu la pauvreté, la galère, j’ai aussi connu la rue, mais jamais l’exclusion ni le cloisonnement J’ai toujours pu habiter et me promener où bon me chante, partir en Bretagne l’été, aller à la montagne en hiver, et je n’ai jamais eu l’impression d’être à un endroit où je n’avais pas ma place (sauf peut-être au PMU, où je m’étais dit que j’aurais mieux fait de porter un jeans, ou à l’hôtel 5 étoiles de Quentin Dupieux, où j’ai regretté de porter un jeans).

 

Alors, je pense que si ces deux frères en sont arrivés à commettre cet acte, c’est précisément parce qu’ils n’ont jamais eu la possibilité de connaître ce que j'ai eu.

Je pense qu’ils ont connu la violence très tôt, et que c’était une composante de leur vie d’enfant. Et ça, c’est insupportable. Des enfants qui ont pour quotidien la violence, je ne connais pas plus grande injustice.

Je pense qu’ils ont vécu dans une misère sociale et intellectuelle. Je ne pense pas que leurs parents leur achetaient plein de bouquins. Je pense qu’ils auraient eu besoin de rencontrer des éducs avec leurs profs d’école. Je pense qu’ils n’ont jamais eu le même accès que moi à la culture, et je pense qu’ils n’ont jamais eu l’occasion de discuter avec leurs parents de grandes questions existentielles comme dieu, pourquoi on vit, je pense qu’ils savaient plus ce qu’ils n’avaient pas le droit de faire que ce qu’ils avaient le droit d'espérer.

Je pense que les prisons françaises sont lamentables, et qu'envoyer de jeunes délinquants dans des nids de violence, d'insalubrité, de non-droit et de désespoir, c'est tirer avec des balles de kalachnikov dans le pied de la République française.

 Je pense que c'est la société française dans laquelle ils ont vécu qui les a amené à cet acte ignoble. Que ce n’est pas une affaire de religion, parce que la majorité des musulmans ne feraient jamais ça, comme moi. Que la QUESTION SOCIALE est la seule vraie question à se poser, et sur laquelle nous devons tous travailler. Comment des enfants nés et ayant grandi en France peuvent en arriver là. C’est terrible, et c’est aussi pour ça que j’ai pleuré, pendant que je pleurais pour mes papis.

 

Les deux soleils de mes derniers jours : ces témoignages de professeurs en banlieue, à lire en cliquant >> ICI << et >> LA <<.

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